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Petites Ignorances de la Conversation

Calembourg

Que n’a-t-on pas dit contre ce pauvre calembourg ? —C’est l’enfant gâté de l’oisiveté et du mauvais goût, c’est l’esprit de ceux qui n’en n’ont pas, c’est l’apanage des sots, le piège tendu à notre intelligence, c’est enfin tout ce qui n'est ni de la finesse, ni de la grâce, ni du bon sens : on ferait un volume des cris d'indignation dont il a été l'objet.

Sifflons le calembourg, Janus froid et stupide.
(CHAUSSARD.)

Est-on un sot parce qu'on fait des calembourgs ?— Fait-on nécessairement des calembourgs lorqu'on est un sot ? — A ces deux questions, les adversaires les plus acharnés du quolibet ne répondent pas nettement. Sans vouloir nous faire le champion du calembourg, nous demanderons s'ils sont bien sincères, tous ceux qui se répandent en invectives contre lui.

On ne sait pas assez combien il y a de gens qui ne méprisent les calembourgs que parce qu'ils ne sont jamais parvenus à en faire convenablement un mauvais. Ils crèvent de dépit lorsqu'ils entendent ces grosses bêtises, qui n'ont pas tous les torts, puisqu'elles amusent, et ils se vengent en s'écriant avec un haussement d'épaules et un dédaigneux sourire :

Un calembourg ! — Mon Dieu ! Oui, monsieur, un calembourg ! Je l'ai dit parce qu'il m'est venu, parce qu'il est drôle, et vous ne l'avez pas dit, vous, parce qu'il ne vous vient rien, pas même un calembourg. — Si vous avez quelque chose de spirituel à nous raconter, à vous la parole ; prenez-la, gardez-la aussi longtemps que vous serez intéressant ou amusant ; mais si vous n'avez à nous parler que de vos affaires, de votre personne et de mille autres lieux communs, laissez place à mon calembourg ; il vaut bien, tout bête qu'il est, le moins ennuyeux de vos discours.

Nous avons connu, nous connaissons encore des hommes très-spirituels qui ont la faiblesse du calembourg. S'ils ont le tort d'en abuser quelquefois, ils en usent d'ordinaire d'une façon si vive et si joyeuse, qu'il faut être un bien grave personnage pour ne pas rire de bon cœur en les entendant. Il y a des sots qui disent des calembourgs, c'est bien vrai ; seulement, ils lés cherchent, ils les préparent, ils les placent, ils les répètent, ils les racontent même, et il n'en faut pas tant pour les rendre insipides. Et puis, les sots n'ont jamais su faire ce que nous appelons le calembourg bête : or, c'est celui-là que nous voulons réhabiliter au nom des gens d'esprit.

Sans doute, M. de Voltaire, il ne faut pas qu'un tyran si bête usurpe l'empire du monde ; mais que voulez-vous ? Nous n'avons pas tous votre esprit et votre savoir, nous ne sommes nullement, certains d'être toujours en fonds ; nous sommes dans la foule, nous autres, et quand nous avons laissé nos soucis à la porte d'un ami pour venir nous distraire sans prétention et sans gêne, souffrez que nous disions quelqu'une de ces bêtises qui, à défaut d'autre mérite, ont au moins pour excuse la gaîté et l'à-propos.

Depuis tantôt un siècle, le calembourg est la victime d'une foule d'importants qui n'ont d'autres ressources, pour faire croire à leur esprit et à leur bon goût, que de calomnier le calembourg ; ils ne peuvent pas sur ce point capital penser autrement que Voltaire, Delille et tant d'autres bons esprits. Sérieux donc comme des ânes qu'on étrille, ils lancent gravement leur anathème, et se croiraient déshonorés si un calembourg les faisait rire. Ce sont ces mêmes personnages qui, pour frapper plus fort et s'indigner plus à l'aise, ont surfait le calembourg. Soit sottise, soit mauvaise foi, ils s'obstinent à ne le prendre ni comme il est, ni pour ce qu'il vaut : le calembourg est un jeu, une plaisanterie et pas autre chose; bien que nous ne soyons plus au temps où l'on définissait l'esprit : la raison assaisonnée, il n'est jamais venu à l'idée d'un homme sensé de vouloir faire preuve d'esprit en disant un calembourg. Faire des calembourgs, c'est jouer avec les mots comme d'autres, qui font des tours d'adresse, jouent avec des cartes ou des gobelets.

Nous comprenons que ce jeu ne plaise pas à tout le monde, mais nous n'admettons pas qu'on soit un imbécile parce qu'on s'abandonne parfois, dans les heures d'insouciance et de franche gaieté, au plaisir de faire ainsi miroiter les mots ou s'entre-choquer les idées.

Le dictionnaire de M. Bescherelle cherche chicane à l'Académie, parce qu'elle écrit calembourg avec un g : « Rien n'annonce dans ce mot, dit-il, le rappel à la pensée d'un bourg ou d'un village. » C'est là une pauvre raison ; en matière d'étymologies, les apparences trompent. D'ailleurs, le reproche ne tombe pas juste : le calembour de l'Académie n'a pas plus de g que celui de M. Bescherelle. — La question d'orthographe, pour peu qu'on la discute, doit être subordonnée à la question d'origine.

D'où vient donc le mot calembourg ?

Au XVIIe siècle, les jeux de mots n'avaient pas de nom particulier. Ménage dit qu'on les appelait montmaurismes, du nom de l'illustre parasite, mais l'usage n'a pas consacré cette appellation. — Plus tard, on vit à Versailles un certain comte de Kahlemburg, ambassadeur de l'empire d'Allemagne, qui dut à la façon pittoresque dont il parlait notre langue de faire sensation parmi les beaux esprits de la cour. Peu familiarisé avec les nuances de cette langue si fertile en équivoques, le comte tomba souvent dans les pièges qui lui étaient malicieusement tendus ; séduit lui-même par des analogies, ou trompé par des consonnances pareilles, il fit plus d'une fois des liaisons, des rencontres, des chocs de mots qui eurent un grand succès. Bientôt on ne put entendre une plaisanterie de ce genre, une bizarrerie quelconque de langage, sans songer au comte de Kahlemburg, et son nom, à force d'être répété à ce même propos, devint synonyme de coq-à-l'âne, de jeux de mots.

C'est ainsi que ce nom allemand s'est établi chez nous en prenant une forme française, et c'est pourquoi l'Académie aurait été bien avisée peut-être de mériter le reproche qu'un voisin a cru devoir lui adresser.