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Petites Ignorances de la Conversation

Un Malotru

Ce mot signifie-t-il proprement mal bâti, mal tourné, ou bien mal appris ? Est-il formé de malè structus ou de malè instructus ?

L'histoire de l'abbé Saint-Martin ferait pencher pour la première de ces suppositions. « Quand cet abbé de Saint-Martin vint au monde, il avait si peu la figure d'un homme qu'il ressemblait plutôt à un monstre. On fut quelque temps à délibérer si on le baptiserait. Cependant il fut baptisé et on le déclara homme par provision. Il était si disgracié de la nature, qu'on l'a appelé toute sa vie l'abbé malotru. » (Ménagiana). — C'est ce même abbé qui, en hiver, portait, dit-on, les unes par-dessus les autres, neuf calottes, neuf paires de bas et aussi neuf culottes. L'histoire ne dit pas, et nous le regrettons, pourquoi cet étrange abbé avait adopté le chiffre neuf dans la superposition de ses vêtements.

Il y a d'assez bonnes raisons cependant pour que ce mot se soit dit originairement dans le sens de mal instruit, ou plutôt de mal éduqué pour rendre mieux notre pensée, et puisque Voltaire n'est pas la.1 — Il s'écrivait autrefois malotru, et, en languedoc, mal estruë signifie mal appris, ignorant. Nos vieux auteurs l'ont presque toujours employé ainsi. Rabelais fait dire à Épistemon que les écoliers du collège de Montaigu sont des malautrus, — et Régnier :

« Comment! vostre argument, dist l'un, n'est pas en forme.
L'autre, tout hors du sens : mais c'est vous, malautru,
Qui faites le sçavant, et n'estes pas congru. »
(Satire X.)

On a fait venir aussi malotru de malè et de intrusus (participe de intrudere, pousser dans), en faisant du malotru un homme mal introduit, c'est-à-dire qui se présente, qui se trouve dans un lieu où il ne doit pas être admis. C'est souvent dans ce cas, en effet, que s'applique l'épithète de malotru, mais au fond cela revient toujours à la question de mauvaise éducation, et nous croyons qu'il faut s'en tenir, comme étymologie, aux mots malè instructus, mal élevé, manant.

Aux personnes qui ne seraient pas disposées à suivre notre conseil, nous rappelons qu'elles peuvent opter encore entre le celtique bas breton malourus, qui signifie pauvre, misérable; — et malè astrosus, « constellation maligne », comme dit Le Duchat, ce qui donne à entendre que le malotru est un homme malheureux, né sous une mauvaise étoile.


1. On sait l'horreur que Voltaire avait pour le mot éduquer. « La langue s'embellit tous les jours, dit-il dans une lettre à M. Linguet, on commence à éduquer les enfants au lieu de les élever. »